« Pour le travail à l’atelier, il y a le plaisir physique de prendre les dalles, de les sonder en les soupesant, de tailler en prenant bien mon équilibre, trouver mon centre de gravité par le bout des doigts avec la dalle sur le tranchet.

Frapper juste et net avec la marteline, travailler à l’oreille pour sentir le son de la rupture à l’endroit voulu, avec cette tension comme à la chasse ; ne pas rater son coup, réussir la coupe c’est le plaisir ! Je me souviens curieusement qu’enfant, j’ai toujours éprouvé une grande jouissance à casser verre. J’ai fini par travailler à l’instinct, de chic, sans volonté mentale. Ma volonté est toute dans l’attention manuelle.

Mes mains dans ces moments­là ne sont plus des servantes, je les laisse faire et elles inventent. Je maîtrise en gros quatre cinquièmes de mes coupes ; pour celles qui m’échappent, je recommence si elles ne vont pas dans le sens souhaité, mais si elles sont meilleures que celles désirées, je m’adapte. J’essaie d’être à l’affût de l’accident afin d’en rester maître.

Le matériau est plus simple que l’idée. À l’ouvrier d’oeuvrer, de choisir et de se laisser simplifier par lui quand cela arrive.
C’est le bonheur d’exister avec ces mains­là quand certains matins tout leur obéit et leur réussit.

Satisfaction profonde autant physique que spirituelle. Les heures ont passé rapides et quand midi arrive, la faim me tombe dessus d’un seul coup. Le repas est alors de bon appétit, je mange sans remords, le rouge est dans mon verre. »

Henri Guérin, extrait d’un des textes du catalogue de l’exposition du Palais Galliera, Paris, novembre 1976.