Henri Guérin est un des rares verriers, sinon le seul, à se consacrer exclusivement à cette technique car la dalle n’est pas pour lui une technique interchangeable mais bien la matière même de son expression picturale originale.

C’est également l’un des rares artistes verriers à concevoir et à réaliser seul l’intégralité de ses vitraux, depuis le dessin du projet jusqu’à la mise en œuvre du vitrail   

Son matériau d’élection est la dalle de verre, découverte en 1954 auprès de son maître, le moine bénédictin dom Ephrem Socard.  Une dalle de verre teintée dans la masse mesure environ 20 x 30 cm. et a une épaisseur de 2 à 3 cm. Les pièces de verre taillées sont liées entre elles par un mortier de ciment.

L’artiste peint ses gouaches préparatoires dites « maquettes » qu’il transpose ensuite à l’échelle 1 sur un carton de coupe pour la taille et l’assemblage des pièces de verre.

Il taille ensuite ses verres le verre en lumière directe, avec l’aide d’une marteline et d’un tranchet fiché dans un billot de bois. Il a personnalisé cette technique en jouant sur le travail dans l’épaisseur des dalles et la coloration des joints de ciment en fonction des compositions.  En effet, avec le martelet, il reprend certaines pièces de verre par de vigoureux impacts sur la tranche, pour leur enlever de grands éclats de matière. Ainsi, il ôte de l’ombre à la dalle de verre et permet à la lumière de créer de grandes nuances au sein d’un même ton.

Henri Guérin travaillait toujours en solitaire. C’est un travail long, minutieux et harassant ; la réalisation d’un petit panneau peut facilement nécessiter 24 heures de travail. Les étapes de création sont nombreuses : la taille du verre, le transfert sur la table de coulée, la protection de chaque pièce de verre par de fines digues de mastic, la préparation du mortier de ciment, la coulée, le retrait du mastic, le relevage du panneau après séchage, le nettoyage et le brossage du panneau, sans oublier enfin le balayage de l’atelier …

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HISTORIQUE DU VITRAIL EN DALLE DE VERRE

Notice de la thèse de Sophie Guérin Gasc, « Henri Guérin, peintre verrier, né en 1929 », Université de Toulouse Jean-Jaurès, 2003, inédite. D’après la thèse de Nathalie LOIRE “Le vitrail en dalle de verre en France, des origines jusqu’en 1940”, Université de Paris 1 – Panthéon Sorbonne, 1995  – éditée en 2013 par la Galerie du Vitrail, Chartres.

Alors que le vitrail traditionnel au plomb utilise des pièces de verre découpées dans des plaques de quelques millimètres d’épaisseur, le vitrail en dalle de verre est constitué par l’assemblage au ciment armé de morceaux de verre de deux à trois centimètres d’épaisseur taillés dans des dalles de verres rectangulaires de vingt par trente centimètres environ.

Le développement de cette technique, à la fin des années trente, est étroitement liée aux progrès effectués dans l’utilisation du béton armé et à l’existence de grands chantiers de constructions d’églises. En France, ce sont trois ateliers de maîtres verriers qui pratiquaient la technique traditionnelle du vitrail au plomb qui ont développé la technique de la dalle de verre dans les années trente : Jean Gaudin (1879-1954), Auguste Labouret (1871-1964) et Charles Lorin (1874-1940).

C’est le maître-verrier et mosaïste Jean Gaudin qui est considéré comme son inventeur. À Paris, à partir de 1929, il commence à réaliser des verrières qu’il appelle “mosaïques transparentes” ou “mosaïques lumineuses”. Son premier vitrail en dalle de verre intitulé “Afrique” est présenté au Salon des Artistes Décorateurs à Paris en 1929. Son invention correspond au besoin de son temps de trouver un décor en adéquation aux nouvelles architectures de béton armé ; en effet, Gaudin est très clair et lucide sur ce point : “Grâce à un apparentement en quelque sorte congénital, cette technique s’harmonise de façon parfaite avec la construction en béton armé : la possibilité de réaliser dans ce domaine de véritables murs lumineux pouvant produire des formes nouvelles autant que rationnelles”.

Dans le même temps, un autre maître verrier parisien, Auguste Labouret, commence lui aussi à créer des vitraux en dalle de verre sertie dans du ciment armé : son vitrail “Saint Hubert” est exposé au Salon des Artistes Décorateurs à Paris en 1932, puis il dépose en 1933 un brevet d’invention de cette nouvelle technique pour la réalisation de vitraux formés de dalles de verre blanches, superposées de verres minces de couleur qui pouvaient être peints à la grisaille ou simplement en dalles épaisses “coloriées dans leur masse”.

Ces deux nouvelles techniques très proches, celle de Gaudin et celle de Labouret, ont évolué dans les années suivantes pour devenir dès les années quarante celle reconnue du “vitrail en dalles éclatées à réseau de ciment armé”. Nouvelle technique reconnue dès 1934 pour ses qualités d’adaptation à l’architecture moderne : “(…) Avec ces dalles colorées de 3 cm. d’épaisseur, l’emploi de la grisaille devient superflu. C’est sur la matière même que l’on agit. L’emploi conjugué du verre et du béton pour des fins artistiques est fort récent. (…) Il est à souhaiter que les architectes s’appliquent à en tirer tout le fruit, en demandant à ces techniques toutes neuves et déjà si riches beaucoup plus qu’ils n’osaient exiger de celles qui les ont précédées.” (Algandaret «Techniques nouvelles», revue “Art et Industrie” de mars 1934)

Un autre atelier commence également en 1935 à se spécialiser dans la dalle de verre : c’est celui de Charles Lorin à Chartres, avec Gabriel Loire (1904-1998) comme collaborateur, qui crée ses premiers vitraux en dalle de verre pour une chapelle à La Flèche puis une autre à Dinan. Les ateliers Rault de Rennes et celui de Pierre Turpin à Lille utilisent également cette technique dans les années trente. Cependant, avant 1940, l’emploi de la dalle de verre reste limité à des chantiers religieux et à des thèmes figuratifs.

C’est Jules Albertini, seul et unique fabricant de dalle de verre, qui fournit tous ces ateliers ; il met tout son savoir-faire de coloriste à leur service. Cependant au début des années quarante, ayant accepté un contrat exclusif de fourniture de dalles de verre avec les ateliers Gaudin pour la réalisation d’un important chantier, il ne peut plus fournir les autres verriers. Pour répondre à une demande toujours croissante, l’usine de verre de Saint-Gobain, installée à Saint-Just-sur-Loire, commence alors à produire des dalles.

Après la seconde guerre mondiale, en France mais aussi en Allemagne et en Suisse, le renouveau du vitrail dans les Arts Sacrés, notamment avec l’introduction de l’art abstrait, est bénéfique au succès de cette nouvelle technique. Devant la demande – essentiellement pour des églises nouvelles en béton – et entraînés par un phénomène certain de “mode”, de nombreux ateliers traditionnels de vitraux au plomb se mettent à fabriquer des vitraux en dalle de verre, puis certains finissent par se spécialiser dans cette technique comme les Ateliers de Saint-Benoît-sur-Loire ou l’atelier Guével. Depuis cette époque, la technique est également enseignée à l’École des Métiers d’Art et de nombreux jeunes artistes comme Louis-René Petit ou Claude Baillon l’adoptent. C’est dans ce contexte que le Père Éphrem crée son propre atelier de vitrail en dalle de verre à l’abbaye d’En Calcat dans le Tarn. Cette technique correspondait à sa curiosité naturelle qui le poussait vers les expressions artistiques nouvelles.

À partir des années cinquante, cette technique est largement adoptée aux États-Unis et au Canada, diffusée par les réalisations des artistes français eux-mêmes (Barillet, Duval et Loire) et le liant le plus souvent utilisé est la résine époxy. En France, dans les années soixante, l’usage de la dalle de verre se diversifie au moment où le vitrail commence à s’intégrer dans des bâtiments publics et des maisons particulières, mais son utilisation principale reste celle des édifices religieux modernes.

Dans l’esprit général, la dalle de verre reste associée aux années cinquante-soixante et à l’architecture de béton brut de cette époque, car la technique qui s’est figée très tôt dans certains ateliers, avec l’emploi de joints de ciment brut et de couleurs primaires, a imposé une manière assez sèche. C’est ce qui fait dire à Andrew Moor en 1990 que “le procédé est suranné, mais peut-être ne le sera-t-il plus si la mode revient au fruste et au rugueux”. (“Le vitrail dans l’architecture contemporaine” : Herscher, 1990). Cependant, dans le “Guide des verriers” de la Revue de la Céramique et du Verre, bon nombre de verriers la citaient toujours, en janvier 2000 comme une de leurs pratiques possibles.