Écrits

Henri Guérin et l’écriture poétique

 

L’écriture est la première forme d’expression artistique d’Henri Guérin, avant même le dessin, la peinture et bien sûr le vitrail. Et il n’a jamais cessé d’écrire, que ce soit d’une manière autonome ou en accompagnement de ses créations plastiques.

 

Dès la fin de son adolescence, il compose des poèmes. Mais c’est au début des années 50 qu’il les inscrit sur un petit cahier d’écolier. En 1954, il en choisit un florilège pour composer le recueil « La Corbeille à papier »  publié par Pierre Seghers en 1955. Sa veine poétique, comme il l’écrit dans la présentation de l’ouvrage, ce sont “le merveilleux quotidien, les fables oubliées de l’enfance, les chansons de Lorca, les poèmes d’Apollinaire”. La poésie de ses contemporains, il la découvre et l’écoute à la radio, lors de sa longue immobilisation après l’opération qu’il subit en 1951, à 22 ans à peine. C’est elle qui lui révèle son désir de créer.

 

C’est aussi par la découverte d’un très beau texte d’Henri Matisse, dans le numéro spécial Matisse de la revue Verve, en 1952, que sa vocation lui est comme imposée. Texte qui le touche tellement qu’il le recopie sur son petit cahier de poésie, comme si le peintre lui parlait directement : « Le jeune peintre qui ne peut se dégager de l’influence de la génération qui le précède va vers l’enlisement. (…) »

 

Sa première forme d’expression plastique, ses tableaux en tissus collés, est empreinte de cette source poétique. Certains comme le Cerf et le chasseur ou Le Forgeron évoquent directement un de ses poèmes.

 

Au moment de son installation à Toulouse, en 1954, juste avant de rencontrer le père Ephrem à l’abbaye d’En Calcat et de commencer à créer des vitraux, Henri Guérin travaille comme illustrateur pour La Dépêche du Midi et certains de ces textes poétiques y seront également publiés.

 

Tout au long de sa vie, il continuera à écrire des poèmes, consignés sur un autre petit cahier.

 

L’artiste a mis aussi ses talents d’écrivain au service de ses créations plastiques. Toute son œuvre est émaillée de beaux textes sur son travail, son expérience, sa foi. Dès les années 1960, ils viennent éclairer son inspiration et ses partis pris de création ; dans un premier temps, il évoque sa relation à la nature, puis petit à petit, sa foi y transparaît clairement.

 

« Quand un arbre – j’ai la vocation des arbres – m’émeut et m’appelle, j’interroge sur le papier l’émotion qu’il me donne. Je sens alors combien la nature est le monde de l’apparence et de l’invisible à la fois »(Un peintre verrier, Revue Axes, 1975 .)

 

Les demandes de communautés religieuses, des paroisses et également sa participation sans cesse croissante à des colloques, l’ont amené à approfondir sa réflexion sur son œuvre par des écrits. Si un bon nombre de ses interventions publiques a été publié dans des actes de colloques, les autres textes reliés directement à une commande sont restés plus confidentiels. Ils sont de deux types : les textes intitulés « Esprit du projet » écrits en amont de la réalisation, assez descriptifs, contenant des références bibliques de plus en plus précises au fur et à mesure des années et ceux écrits une fois les œuvres réalisées qui ont plutôt la forme d’une méditation sur l’œuvre. Ainsi, en 1963, dans le premier texte publié concernant une réalisation – ici, ses vitraux pour l’église d’Étaules en Charente Maritime – on retrouve ses accents poétiques : “J’ai pu découvrir et aimer ce paysage en proue sur l’océan, avec ses grands paysages de bois, de dunes et de plaine inclinée (…)  et déjà, une grande acuité de sa réflexion sur son travail : “La non-figuration n’est pas si éloignée qu’on le pense de la nature. Dans ces vitraux, il y a des rythmes naturels de végétation, de ramures d’arbres, d’harmonies de saisons différentes. Leur identité n’est pas révélée ni décrite, mais on peut avec une sensibilité à l’écoute de cette nature y trouver un écho.”

 

Grâce à son amitié avec Jean Guichard Meili (1922-1994), écrivain et critique d’art, il aura l’occasion de publier deux beaux ouvrages où textes et dessins composent chacun un ensemble d’une belle homogénéité : Les Arbres, en 1984, puis Pèlerin au Mont-Saint-Michel, en 1992. Ces textes existent pour eux-mêmes et ne sont en rien les sous-titres ou les commentaires des dessins. Leur beauté sert l’ensemble.  « Les traits de plume du dessin et l’encre des mots célèbrent en répons la beauté de la création » comme dans les dernières lignes de l’album Les Arbres :  « L’arbre, c’est peut-être la plus heureuse image de la joie, avec sa charpente d’ombre tendue à l’intérieur pour chaque feuille ait bien toute sa part de lumière. » ;  ou les premières du Mont-Saint-Michel : « Tout au fond de ce lent abaissement des terres vers leur terme, le Mont Saint Michel est un sursaut, quelque chose qui ne se résout pas à se laisser fondre dans le vaste portique des bleus et des gris superposés. »

 

En 1996, c’est dans l’essai Patience de la main que se cristallisent toutes ses réflexions sur son activité créatrice. Dans une forme très épurée, en douze petits chapitres, en partant de sa pratique du dessin, il distille une pensée claire, profonde et directe, message aux jeunes artistes mais surtout partage d’une expérience unique « pour toucher toute vie désirant une relation sensible au monde ».

 

« Patience, patience. La patience mûrira votre œuvre aussi sûrement qu’un doux soleil d’automne au verger accomplit les promesses de l’arbre. »

 

Dans ses derniers textes, il témoigne de sa vocation d’artiste comme indissociable de sa foi chrétienne, mais sans jamais que l’une domine ou justifie l’autre. De même que, pour lui, le texte n’est pas un support de l’image ou vice-versa. Cependant, savoir la profonde foi qui l’anime, lire ses textes poétiques, sont indispensables à la connaissance de son œuvre artistique. Il en avait pris conscience. Ainsi, en 2009, sans savoir que ce serait sa dernière année, à l’orée de ses quatre-vingts ans, il a souhaité publier un florilège de ses écrits sous le beau titre « De lumière et d’ombre ». Dans un texte composé pour cet ouvrage, il nous a livré son dernier message, dont voici les dernières lignes : « Immatérielle comme l’âme, gratuité merveilleusement sensible au cœur pur, l’image offerte à qui sait regarder pour voir, ose ainsi aider à franchir l’apparence du monde visible ».

 

Monde visible qu’il n’a cessé d’interroger dans son œuvre et sur lequel il nous laisse méditer,lui qui nous a précédés dans cette traversée du miroir, avec cette phrase inscrite à la craie au mur de son atelier : « Le plus grand mystère de l’univers n’est pas l’invisible mais le visible ».

 

Sophie Guérin Gasc

 

Extraits du catalogue de l’exposition Vitrail et Poésie, Maison des écritures de Lombez, 2011.

 

PRINCIPAUX ÉCRITS ET PUBLICATIONS (en gras et souligné, ouvrages d’Henri Guérin)

 

1955        Recueil de poèmes « La Corbeille à papiers »,Pierre Seghers.

1975          Revue Axes, Paris, Mars, “Un peintre-verrier”.

1976          Catalogue Exposition Galiéra, Paris.

1981          Colloque “Art contemporain, Édifices anciens”, Cahiers de l’ICOMOS, Paris,1983.

  • Rencontres de l’École du Louvre, colloque “Conservation du patrimoine et création contemporaine” ;

actes à La Documentation Française.

1984        Album “Les Arbres”, 21 dessins et texte, Éditions “Porte du Sud”, Paris.

1984          Rencontres de l’Ecole du Louvre, colloque “L’Imitation”, La Documentation Française.

1986          Catalogue Exposition Jacobins, Toulouse.

1987          Revue “Filigrane”, Paris, “Paysage, notre berceau”.

1987          Revue “Construction Moderne”, Paris, Mars.

1989          Revue “Espace”, Paris, “L’oratoire du Centre Asiatique” .

1990          Revue “Beaux Arts”, n° spécial Cathédrale d’Évry.

1990          Revue “Stained Glass”, New York.

1990          Revue “New Glass”, New York (Corning Glass Review n°11).

1990          Revue “Junge glassmalerei”, Allemagne.

1991          Catalogue Exposition “Harmonies des verres”, Saverne 1991, Chartres 1992.

1992          Actes du colloque “La couleur”, Institut d’art visuel, Orléans.

1992        Album “Pèlerin au Mont Saint-Michel”, texte, dessins et gouaches, Éd. “Porte du Sud”.

1993          Actes du colloque “Jacques Maritain”, Cerisy-la-Salle, Pontigny.

1995          Revue de la Céramique et du Verre, Mars, n° 81.

1996          Courrier des Métiers d’Art, Janvier, n°159.

1996        Essai “Patience de la main”, Éditions du Cerf, Paris. Réédition 2012

1997          Actes du colloque  » Les églises rurales « , Rencontre avec le patrimoine religieux.

1998          Catalogue exposition “Henri Guérin, vitraux”, Plaisance-du-Touch

1999          Catalogue exposition “Œuvres graphiques”, Saint-Bertrand de Comminges.

1999          Revue de la Céramique et du Verre, mai, n° 106.

1999          Courrier des Métiers d’Art, juin.

1999          “Les 2000 ans de Christianisme”, n°12 “La traversée du XXème siècle”, Bayard Presse.

2000          Cahier de l’École Cathédrale, numéro pour le Jubilé de l’an 2000 “Jésus”, CERP, Paris.

2001          Revue des Fraternités monastiques de Jérusalem, n°97 “La Beauté”, texte “Des yeux pour voir le monde”.

2001          Actes du colloque “Civiltà europea – Valori cristiani ” (Abbazia San Michele della Chiusa, Italie – 09/00),

texte “La création artistique, valeur pour la construction de l’Europe”.

2001          Revue “New Glass”, New York (Corning Glass Review n°22).

2001          Catalogue commun aux expositions de Nay et de Mirmande.

2001          Catalogue “Les Couleurs de la lumière, le vitrail contemporain en région Centre” – CIV.

2002          Revue japonaise “ME NO ME” – n°311  “About new stain glass art – Henri Guérin” , août.

2003          Thèse de doctorat en histoire de l’art, « Henri Guérin, peintre-verrier – Son œuvre au XXème siècle »,

par Sophie  Guérin-Gasc, dirigée par Claude Bédat, université de Toulouse Le Mirail – inédite.

2003          Revue Prier, numéro spécial du mensuel « L’Actualité des Religions », mai.

  • Actes du colloque “Intelligence de l’art et culture religieuse aujourd’hui” – École du Louvre, Parisavril 2002

Numéro Hors série du mensuel “Le Monde de la Bible”, Bayard Presse, septembre.

  • Actes du colloque  » Le Vitrail contemporain  » Cahier n°20, Art Sacré – Rencontre avec le Patrimoine religieux ,

Château de Blois , octobre 2002.

2005          « Henri Guérin – L’œuvre vitrail » par Sophie Guérin Gasc, Toulouse, éditions Privat, septembre.

2006          Actes du colloque  » Images de la vierge dans l’art du vitrail  »  Cahier n°21, Art Sacré – Rencontre avec le Patrimoine religieux ,

Bourges , octobre 2003.

2007           » Le vitrail du XX° au XXI° siècle, un élan de création  »  Cahier n°22, Art Sacré – Rencontre avec le Patrimoine religieux ;

dossier sur les vitraux de Huisseau-sur-Cosson.

2009        Ouvrage De lumière et d’ombre, éditions de la Revue de la Céramique et du verre. Réédition 2011 .

2010          « Le fonds d’atelier vitrail », Éric Louet, conservateur du musée du verre de Conches, catalogue de l’exposition.

2015          Le Chemin de la Croix, texte de Paul Claudel, lavis d’Henri Guérin, ed. Basilique Saint-Sernin, Toulouse.

2018          Catalogue de l ‘exposition de Firminy, « Henri Guérin – Lumière(s) », éditions Scriptoria.

2019          Henri Guérin, Patience de la main, éditions du Cerf, Paris, 3ème édition  (1èreed. 1996, 2èmeed. 2012)

 

À paraître

 

2019         « Henri Guérin (1929-2009), un peintre verrier au cœur de la création contemporaine »,

actes du colloque de l’Institut catholique de Toulouse, mars 2014, éditions de Cerf, Paris

2020          Sophie Guérin Gasc, Henri Guérin – L’œuvre tissé, éditions de la Cité Internationale de la Tapisserie, Aubusson.

L’œuvre vitrail

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HENRI GUÉRIN - L'ŒUVRE VITRAILOuvrage édité en 2005 par les Éditions Privat, à l'occasion des expositions des  50 ans d'atelier d'Henri Guérin. Synthèse de la thèse de doctorat en Histoire de l'art de Sophie Guérin Gasc, soutenue en 2003, Université de...

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